Une fin de course haletante

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Des rafales dépassant les 60 noeuds, une mer déchaînée, une progression au près… L’approche de la ligne d’arrivée a été particulièrement délicate pour une grande partie de la flotte. Alors que 20 skippers ont terminé la course, retour sur ces heures de tension où les organismes, comme les bateaux, ont été soumis à rude épreuve.

Ils en ont fini et peuvent enfin souffler. De ces heures au cœur de la tempête, il reste des souvenirs, des alarmes qui sonnent en permanence à bord et des frayeurs aussi. Partir au tas, à l’abattée, au lof, voir son bateau pencher à la perpendiculaire… Il en fallait du cran, du sang-froid et de la résistance pour tenir le choc. Jérémie Beyou (Charal, 2e) l’a constaté en croisant et en contactant certains des skippers qui bataillaient hier encore à proximité de la ligne d’arrivée. "Finir avec plus de 50 nœuds, au près et dans une mer affreuse, ce n’est vraiment pas drôle. Certains avaient leur voile d’avant déchirée, leur grand-voile déchirée, un autre était sans safran…"

"J’ai cru que je ne passerais jamais la ligne"

Romain Attanasio (Fortinet-Best Western, 17e) avait les larmes aux yeux après avoir franchi la ligne. "C’était dur. J’ai cru que je ne passerais jamais la ligne. À chaque fois que je tapais une vague, j’avais l’impression que le bateau était en verre brisé. Je ne pouvais même pas faire demi-tour". Les dégâts à bord de Fortinet-Best Western sont conséquents : "j’ai arraché le chandelier, l’hydrogénérateur a dégagé, la grand-voile s’est déchirée". Il reste néanmoins la délivrance en étant allé au bout, les côtes de l’Islande comme un cadeau et les messages de remerciements d’une équipe pour retrouver le sourire.

Giancarlo Pedote (Prysmian Group, 12e) avait également les yeux embués au moment de revenir sur cette bataille à proximité de l’Islande. Alors qu’il tentait de s’abriter pour réparer son chariot de grand-voile, il a affronté des rafales à 50 nœuds, lui aussi. Des péripéties qui finissent par peser sur le moral. "Le rythme était tellement intense et je suis si fatigué que je deviens un peu plus fragile émotionnellement".

"Ça a été dur jusqu’au bout", poursuit Fabrice Amedeo (Nexans-Arts&Fenêtres, 19e). Il parle « d’enfer » en évoquant sa fin de course : "quand j’ai renvoyé de la toile vers la ligne, 25 nœuds de vent sont rentrés. Le bateau était presque à l’envers…" Dans une vidéo, filmant les côtes islandaises, il se lâche, comme un cri du cœur : "on en a ch… pour venir jusqu’ici !"

"Le décor était sombre"

Puiser dans ses réserves, chercher des ressources insoupçonnées pour résister à la furia des éléments a un impact non négligeable. Afin de résister dans un tel décor, il y a des habits de circonstances. Louis Duc (Fives - Lantana Environnement, 8e) les détaille : "c’était ambiance cagoule néoprène. Le décor était sombre, les mains piquées par le froid…" Au plus fort de la tempête, à bord, on oublie tout. Et tant pis si la fatigue et la faim se font de plus en plus grandes. "Je pouvais à peine bouger dans mon bateau. Alors faire chauffer de l’eau pour préparer un café, c’était impossible", soupire Romain Attanasio. Arnaud Boissière (La Mie Câline) assure "s’être rendu compte à quel point" il avait peu mangé.  

Le skipper de La Mie Câline n’a même pas pu savourer le passage de ligne, lui qui a abandonné une poignée de milles plus tôt. Il a laissé exploser sa déception par de chaudes larmes dans l’habitacle de son IMOCA maltraité par les vagues… "Dès que j’ai pris la décision, j’ai pleuré comme un gamin". "Ça ressemblait aux mers du Sud sauf que le Sud, ce n’est que pour le Vendée Globe 2024 en théorie", lâchait-il ironiquement.

"Ce n’est pas fini, on est encore en mer"   

Dans son lot de malheurs à lui, il y a une voile d’avant qui a explosé et l’enrouleur de J2 qui a fait des siennes. Denis Van Weynebergh (Laboratoires de Biarritz) a pris la même décision hier soir. Pour lui aussi, les ennuis se sont accumulés à vitesse grand V : problème électronique, déchirure de la cuisse suite à une chute, voile d’avant arrachée, safran endommagé, étrave détériorée…

Si la course est officiellement terminée, l’aventure ne l’est pas encore. "Ce n’est pas fini, on est encore en mer et il faut revenir", rappelle Arnaud Boissières. "Je n’ai pas hésité à reprendre la route directe vers les Sables", poursuit Louis Duc. À propos de ce convoyage, Jérémie Beyou conclut, à l’unisson de la flotte : "on va y aller tranquille".