Jérémie Beyou (Charal) : « On va traverser l’autoroute à la vitesse d’un hérisson »

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Deux ans après la première édition, Jérémie Beyou vient défendre son titre, conquis l’été 2020 au sortir d’un premier semestre secoué par la crise sanitaire. Le skipper de Charal raconte la complexité du scénario auquel la flotte va se frotter dès dimanche.

La saison de navigations en solitaire a débuté en mai avec la Guyader Bermudes 1000 Race ; vous voici au départ de la 2e Vendée Arctique – Les Sables d’Olonne, où vous avez trouvé un village de course structuré, 25 IMOCA amarrés au ponton et un niveau de compétition impressionnant. Tout va dans le bon sens ?
Jérémie Beyou : C’est important pour nous, sportivement, de faire des courses, c’est avant tout pour cela qu’on est là, et c’est bien de réussir à en faire de plus en plus. Cela implique de s’organiser, de réduire les temps de chantier de s’organiser, de revoir la taille des équipes pour honorer ces calendriers, mais c'est ce qu'on souhaite. C’est bien aussi pour les organisateurs pour se rôder. Et le public est demandeur.

L’intérêt de ces courses passe aussi par la destination ?
J. B. : Je suis très content d’aller par 70°N, il faut juste que ce soit faisable. Le parcours est alléchant, et la direction de course pourra faire ses choix si jamais ça ne passe pas pour toute la flotte, qui est assez hétérogène en termes de performance et d’expérience. Pour enchaîner les courses, il faut ne pas connaître de crash : on n’a qu’un bateau. Il faut être dans la gestion. Il faut faire des courses simples, avec des départs et des arrivées au même endroit, ce qui est pratique, et des destinations pas trop « exotiques ».

Quelles complexités avez-vous identifiées ?
J. B. : Les principales sont la partie côtière du contournement du nord de l’Islande et le goulet d’étranglement entre la côte de l’île et la ZEA (zone d’exclusion arctique). Il n’y aura pas d’échappatoires, vu l’étroitesse, alors on va multiplier les manœuvres et rester en veille permanente et obligatoire, et cette portion est longue. Quand on va attaquer le contournement de l’Islande, de la partie est jusqu’à la sortie au sud-ouest de l’île, je ne vois pas trop quand on va pouvoir dormir.

Vous devriez sans doute arriver déjà fatigués au moment de contourner l’Islande, si on se rappelle la première édition…
J. B. :
Ça allait, c’est surtout nerveusement que ça avait été intense. Je m’attends au moins à ça. Avec Thomas et Charlie, on avait été unanimes sur le fait que ça avait été costaud.

Qu’est-ce qui rend cette course si usante ?
J. B. :
Ce n’est pas comme une Transat anglaise qui te fait aller vers les dépressions, ou l’inverse, ou une Route du Rhum qui te fait traverser deux ou trois phénomènes météo. Là, on va traverser l’autoroute à la vitesse d’un hérisson, parfois, avec des phénomènes météo qui circulent vite. Ça fait plein de transitions à négocier. La dernière fois, on n’a jamais arrêté, il y a eu en permanence des coups de l’élastique (l’arrière de la flotte qui revient sur la tête au bénéfice d’un anticyclone, ndlr). Ça avait bien tiré, même sans conditions dantesques. Ce sera plus long, avec le tour de l’île, la zone de glaces… Je sens qu’ensuite, on partira en vacances tout le mois de juillet.

Vous défendez votre titre, conquis l’été 2020 sur la première édition de la Vendée Arctique. C’est un confort ou un challenge ?
J. B. :
Ah c’est mieux ! (il rit) Ça te rassure sur le fait que tu sais faire. C’est le même bateau, sur un parcours plus ou moins similaire. On table sur dix jours de course à nouveau, ça permet d’avoir une bonne idée sur l’organisation qu’il faut mettre en place sur ce temps-là. Personne n’a l’expérience du tour de l’Islande ou du grand nord, je pense. C’est bien d’avoir a minima l’expérience du sud de l’Islande. Des courses de dix jours en solo, on n’en fait pas beaucoup, pendant un cycle. Il y a la Route du Rhum, c’était la dernière, en 2018, hors première édition de la Vendée Arctique. Ça commence à dater.

Cette 2e édition signifie la fin de votre aventure avec ce Charal, 1er du nom, puisque Charal 2 va sortir du chantier cet été. On imagine que votre IMOCA, après quatre ans d’exercice, est « sapé comme jamais » ?
J. B. :
C’est un peu ça. On n’a rien fait d’exceptionnel cette année, on est concentré sur le prochain. On a ajusté quelques petits détails pour faire en sorte qu’il soit parfait. C’est le dernier bal, il faut faire ça bien ? On se connaît bien, il n’y a pas de raison.

Vous savez estimer le gain réalisé en quatre ans de développement ?
J. B. :
Il y a du gain à certaines allures, des pertes à d’autres. Comme on s’est mis à la nouvelle jauge de foils, on a perdu un peu de vitesse au près et aux allures de décollage, mais on a essayé de typer le bateau pour qu’il réponde mieux dans le portant dans la brise, où il connaissait quelques petits problèmes de comportement. On a travaillé cet aspect, et on a gagné. On a perdu un peu au près et au reaching. On a donc beaucoup gagné sur un parcours façon Vendée Globe. Le bateau est mieux, il est plus sain, plus facile. Ces corrections viennent des chantiers, mais aussi de toi, qui fais en sorte de mieux t’en servir et de ne plus être en stress. Enfin, j’espère qu’il n’y a pas que le bateau qui a progressé !
 

À quel point avez-vous progressé depuis vos premiers pas en IMOCA ?
J. B. :
Le curseur est beaucoup plus proche du 100% qu’avant, surtout sur les bateaux volants. Au début, j’étais un peu impressionné. J’étais dans la gestion, je le suis beaucoup moins. On a moins de crashes qu’auparavant. Les équipes sont plus structurées, on a plus de ressources, l’intérêt du public est plus grand. Tout ça fait un cercle vertueux. Quand je vois Nicolas Lunven qui débarque et qui sort son épingle du jeu (4e sur la Guyader Bermudes 1000 Race en mai), ça veut dire qu’il arrive dans une équipe – de référence – qui sait lui faire découvrir rapidement le bateau, qui ne connaît pas de problèmes techniques. Il a su s’en servir rapidement. La marche technique est super haute entre le Figaro et l’IMOCA, mais tout l’environnement des techniciens et ingénieurs permet de comprendre les choses plus vite. Et donc de tirer le bateau à 100% plus rapidement.

Et cela nourrit l’excellence de la compétition ?
J. B. :
Oui ! La compétition est bien meilleure. Plus serré, c’est difficile. Les écarts sont très ténus, on l’a vu sur les courses précédentes. Devant, les gars font très peu d’erreurs, ils savent mener leur bateau comme il faut, stratégiquement, il n’y a plus de grosse boulette. Tout est bien géré, on a l’impression d’être en Figaro. Si tu es derrière et que tu cherches à revenir, ça ne sert plus à rien d’espérer la grosse erreur, la manœuvre manquée ou le coup de fatigue qui fait ralentir. Ta seule solution sera de cravacher ».