Sur l’eau, les conditions n’arrangent rien, encore une fois. "Ça ne mollissait pas du tout, c’était galère pour ceux en course et compliqué pour ceux qui étaient arrivés de rester dans leur bulle de concentration" soupire Francis Le Goff. Progressivement, une idée commence à faire consensus : arrêter la course à cette porte d’Islande. Elle sera actée vendredi en fin de soirée, une "décision sage pour la sécurité des marins" dixit Laura Le Goff. "Redémarrer la course aurait été complexe et nous n’avions aucune garantie que cette 2e étape soit une performance sportive en soi et ne se transforme pas en convoyage, explique Francis. Or, il fallait aussi valoriser ce que les skippers avaient déjà fait, cette régate très engagée, très intense. En actant cet arrêt, on s’attachait aussi à valoriser la bataille qui avait eu lieu depuis le départ."
La dureté exceptionnelle des conditions
Samedi dans la nuit, lorsque la décision a été officialisée, Charlie Dalin est désigné vainqueur. "J’étais toujours en train de travailler le parcours pour un éventuel nouveau départ, explique le principal intéressé. C’était particulier d’apprendre ça au mouillage !" Les heures qui suivent confirment le KO engendré par la dépression, particulièrement virulente à l’approche de la ligne au près. Les dégâts se multiplient dans la flotte : grand-voiles arrachées pour Isabelle Joschke (MACSF) et Giancarlo Pedote (Prysmian Group), jeu de voile fortement endommagé pour Conrad Colman (Imagine), problèmes en série pour Kojiro Shiraishi (DMG MORI GLOBAL ONE), chandelier arraché et l’hydrogénérateur à l’eau pour Romain Attanasio (Fortinet-Best Western)… "J’ai cru que je ne passerais jamais la ligne", explique Romain exténué. "C’était le truc le plus dur que j’ai fait sur un bateau", abonde Éric Bellion (Eric Bellion, COMME UN SEUL HOMME Powered by ALTAVIA).
Manu Cousin (Groupe SETIN) rebrousse chemin, Isabelle Joschke, Arnaud Boissières et Denis Van Weynbergh (Laboratoires de Biarritz) – qui s’est blessé à la cuisse et a perdu un safran – décident d’abandonner. "Cela dit beaucoup de la dureté exceptionnelle des conditions, assure Yann Château. Il y a eu très peu de courses au large où trois bateaux abandonne à moins de 50 milles de l’arrivée". "Je n’ai jamais affronté de conditions aussi dures", explique Fabrice Amedeo qui a relevé une pointe à 62 nœuds. Les marins parlent de "conditions dangereuses" (Alan Roura, Hublot), de "rythme particulièrement intense", de "bateau qui penchait à 90°" (Eric Bellion, COMME UN SEUL HOMME Powered by ALTAVIA)…
Le passage de la ligne a valeur de délivrance. Sur leurs bateaux ballotés par les éléments, la côte islandaise s’offre en récompense. Surtout, ils peuvent souffler, enfin. La pression retombe et tous réalisent à quoi ils ont résisté. C’est le temps des larmes, aussi. "J’ai pleuré comme un gamin", confie Arnaud Boissières. "Je suis tellement fatigué que je deviens un peu plus fragile émotionnellement", reconnaît Giancarlo Pedote. Comme un cri du cœur, Fabrice Amedeo résume la pensée de toute la flotte : "on en a ch… pour venir ici !" Désormais, place au repos, à la récupération et au retour aux Sables d’Olonne. Guirec Soudée (Freelance.com), qui en connaît un rayon en la matière, l’assure : "cette course, ça a été une superbe aventure". Et ces aventuriers des temps modernes viennent d’ajouter un nouveau morceau de bravoure à leur carnet de souvenirs.